LE TREMBLEMENT DE TERRE DE SEYDE EN 1759
Seyde, l'ancienne Sidon, l'actuelle Saïda, fut pour
les Français, pendant le XVIII° siècle, la principale
«Échelle» de la Syrie centrale et méridionale, Alep étant la principale de la
Syrie septentrionale. La petite ville, qui était alors le siège d'un
Pachalik turc, devait une véritable prospérité au commerce des
colons, dont elle était le marché le plus important.
L'exportation de cet article donnait une réelle activité à son port. Ce
trafic était à peu près exclusivement entre les mains de négociants français,
qui représentaient des maisons de commerce
de Marseille et vivaient là, comme dans les autres Échelles du
Levant et de Barbarie, organisés en corps de «nation», sous la
protection d'un Consul du Roi, logés tous ensemble dans un
«Khan», nommant annuellement deux « députés de la nation » et dépendant,
pour l'administration de leur Échelle, du
Secrétaire d'Etat de la Marine, de l'Ambassadeur du Roi à
Constantinople et de la Chambre du Commerce de Marseill
Un tremblement de terre ayant causé de graves dommages à Seyde en 1759, le Consul de France en rendit compte à la
Chambre du Commerce de Marseille dans les termes suivants, dont l'évidente exagération montre du moins la forte
impression que les secousses sismiques et leurs conséquences avaient produite sur l'esprit de ce brave fonctionnaire.
F. Ch. R.
« Des jardins de Seyde, le 28 décembre 1769.
« MESSIEURS,
« Depuis le 30 octobre, qu'une furieuse secousse à trois
heures trois quarts du matin nous fit craindre un sort
pareil à celui de Lisbonne, nous n'avons cessé jour et
nuit de ressentir jusqu'à ce jour des tremblements de
terre continuels. 11 y en eut un le 25 novembre, qui a
été et plus fort et plus long encore que le premier. Les
deux secousses ont ruiné la ville de Seyde, de façon que
je doute qu'elle s'en puisse relever, vu la misère du pays
et le gouvernement peu disposé à la diminuer. Il n'y a
point de maison qui n'ait été écroulée en tout ou en partie. Le
Khan a été extrêmement maltraité, surtout du côté du
couchant et du midi; il est inhabitable clans cette partie
et dans beaucoup d'autres. Ma maison est dans le même
état ; tous les appartements ont été endommagés. Il a
fallu en démolir plusieurs ; quelques-uns ont été abîmés
Nous avons tous abandonné la ville dès le 30 octobre
pour nous réfugier à la campagne, sous des tentes que le
Pacha m'avait fait prêter. Nous y avons passé quarantehuit
jours et, ayant été obligés de rendre les tentes au
Pacha, ce que nous avons fait avec une reconnaissance
d'environ deux cents piastres, nous nous sommes
fait construire des cabanes, qui nous coûtent incroyablement
et sous lesquelles il nous faudra hiverner, quoiqu'avec
beaucoup d'incommodité pour le lieu et pour
la saison et beaucoup de risque du côté de la peste, qui vdent de
se manifester à Acre et dans son voisinage, et qui infailliblement sera bientôt ici. »
« J'ai déjà eu l'honneur de vous marquer que les tremblements de terre continuent toujours. Nous n'en avons
pas encore été exempts pendant vingt-quatre heures et
aujourd'hui encore nous en aA7ons ressenti des secousses.
Ces tremblements sont généraux par toute la Syrie. Vous
saurez des autres Échelles ce qui y est arrivé. Je me bornerai à vous dire que, dans ce département, qui paraît
avoir été la partie la plus souffrante, Acre a été à peu
près comme Seyde, mais un peu moins mal. Baruth
(Beyrouth), Rame, Jérusalem et Jane l'ont ressenti,
mais av-ec moins de dommage. Safed et Napoulouse ont
été entièrement ruinées et renversées. Damas l'est aux
trois quarts et le fameux Balbek est entièrement détruit.
Plusieurs villages ont été abîmés dans les montagnes.
Il s'est fait des ouvertures considérables à la terre du
côté de Balbek et l'on dit que ces abîmes durent plus de
20 lieues. Enfin l'on suppose qu'il a péri jusqu'à ce
jouiplus de trente mille personnes dans la Syrie.
Grâces à Dieu, personne des nôtres n'a pris mal. Mais
nous avons tous eu une belle peur. Heureux encore de
pouvoir l'avoir ! Nous croyions que la sécheresse de la terre
contribuait à ces ébranlements ; nous soupirions après la
pluie. Il en fait de très abondantes, avec des orages
continuels, depuis quatre jours, sans que la terre en soit plus
stable ; et nous n'en sommes que plus en désordre :
toutes nos cabanes sont inondées ; une seule, grande de
la longueur d'une planche en carré, l'est un peu moins
et fait tout l'abri que j'ai pour moi, nia femme, quatre
enfants dont un à la mamelle, et pour mes domestiques.
On ne peut voir de situation plus fâcheuse. »
[Archives historiques de la Chambre de Commerce de
Marseille, A. A. 340].